Nous entendrons ici la figure de la promenade au musée en un sens métaphorique. Le masque de l’Inconnue de la Seine n’est ni une sculpture ni même une œuvre d’art ; il n’entre dans aucune collection muséale, même si de très nombreux musées possèdent des masques mortuaires. Apparu autour des années 1900, ce masque fut un véritable fétiche, collectionné dans la bohême artistique, accroché à côté de reproductions d’œuvres véritables, circulant dans les milieux littéraires européens. Hors de tout musée, il se promène entre poésie, théâtre, roman et cinéma dans une sorte de « musée imaginaire » auquel n’avait pas songé Malraux, et dont il serait la pièce emblématique. « Joconde noyée » selon Camus, cette Inconnue est choisie par Louis Aragon pour figurer le personnage de Bérénice, dans Aurélien, lorsqu’il entreprend l’illustration des Œuvres romanesques croisées avec Elsa Triolet. Il commande alors une série de photographies à Man Ray. On retrouve l’une d’elles dans Ecoutez-voir, roman illustré d’Elsa Triolet. Avec le masque de l’Inconnue de la Seine, les deux romanciers et le photographe conservent et dépassent les critiques surréalistes à l’endroit du Musée, en créant un nouveau mythe moderne, ce chef d’œuvre populaire et sublime, érotique et morbide qui se promène d’une œuvre à l’autre, et qui dans un même geste provocateur dénie et affirme l’idée d’art.