De nombreux travaux montrent qu’une projection de soi dans le futur est une condition nécessaire mais non suffisante pour inciter l’individu à agir en direction de ses objectifs. Cette mise en action nécessite notamment que le soi futur soit suffisamment saillant (accessible à l’esprit) et que l’individu ait le sentiment d’une continuité du soi dans le futur (SCSF). Agir dans le présent pour avancer vers un soi futur suppose donc de percevoir celui-ci non comme un étranger mais comme un prolongement du soi présent. Il a ainsi été observé que le SCSF favorise le fait d’épargner pour la retraite, ou encore l’engagement scolaire et réduit la procrastination académique. L’objectif de ce travail est d’examiner si ces résultats peuvent être étendus à la procrastination vocationnelle définie comme le fait d’éviter ou de différer la réalisation de tâches liées à la construction du projet professionnel. Il s’agit aussi de tester l’hypothèse d’un rôle modérateur de l’estime de soi. Cette dernière variable dont on connaît les liens négatifs avec la procrastination est en effet susceptible d’interagir avec le SCSF dans la prédiction de la procrastination vocationnelle. Un fort SCSF suppose que le soi futur est vu comme une extension du soi présent. Or, dans le cas d’une estime de soi forte, un soi futur perçu comme connecté au soi présent sera attaché à une valeur de soi très positive qui devrait avoir des vertus motivationnelles et réduire la procrastination vocationnelle. A l’inverse, dans le cas d’une estime de soi faible, un SCSF fort sera associé à la perception d’un soi futur peu attractif et ne devrait donc pas exercer d’impact sur la procrastination. Dans l’étude diffusée en ligne, 176 étudiants (dont 151 femmes, M=19,8 ans) complétaient l’inventaire d’estime de soi de Rosenberg puis devaient s’imaginer dans 5 ans. La saillance du soi futur, le SCSF (Ersner-Herfield et al., 2009), et la procrastination vocationnelle étaient ensuite mesurés. Comme attendu, l’analyse des données par équations structurelles révèle des effets négatifs de l’estime de soi, du SCSF et de la saillance du soi futur sur la procrastination vocationnelle ainsi qu’un effet d’interaction entre l’estime de soi et le SCSF : le SCSF n’exerce pas d’effet négatif sur la procrastination vocationnelle chez les participants dont l’estime de soi est faible. Ces résultats amènent à nuancer les conclusions des travaux antérieurs sur les vertus motivationnelles du SCSF et incitent à poursuivre les recherches pour tester l’hypothèse de modération de l’estime de soi sur d’autres variables dépendantes motivationnelles.