Représenter un être métamorphe, à la fois humain et animal, implique de montrer une métamorphose, ce qui pose à la fois des difficultés d’ordre graphique – il faut illustrer l’idée du mouvement – et théologique – la muance étant considérée comme une illusion diabolique. La difficulté est particulièrement aigüe en ce qui concerne Mélusine, puisque le serpent tentateur de la genèse est alors régulièrement figuré avec une tête de femme. Si les hybrides sont nombreux dans les marges des manuscrits, ils ne le sont pas dans le centre des folios. Pour représenter positivement cet être problématique, les enlumineurs doivent adopter des stratégies particulières. Dans la première moitié du XVe siècle, ils évitent de représenter Mélusine sous une forme hybride, et lui préfèrent une esthétique du double. Mélusine peut être humaine ou animale, mais la conjointure des deux espèces en un même corps n’est pas tolérée. Cette réticence à montrer l’hybridité est symptomatique d’un monde d’après la Chute, marqué par une distinction taxinomique nette entre l’homme et l’animal. Dans la seconde moitié du XVe siècle cependant, cette monstruosité particulière qu’est l’hybridité est apprivoisée dans l’iconographie. Mélusine est alors systématiquement représentée comme une créature hybride, à demi humaine et à demi serpente ou poisson. Un nouvel être hybride, différent du monstre tentateur de la Genèse, a été inventé, qui contient déjà en germe toutes les représentations ultérieures de Mélusine.